Aliona Gloukhova est née à Minsk en Biélorussie. Après des études d’Arts visuels à l’université de Saint-Pétersbourg, et un master en Éducation à Poitiers, Madrid et Lisbonne, elle obtient un Master de création littéraire à l’Université Paris-8 Saint-Denis en 2015. Elle vit actuellement à Pau où elle travaille comme traductrice, enseignante et organisatrice culturelle. Son premier roman, Dans l’eau je suis chez moi (éd. Verticales), a été en lice pour le Prix littéraire des lycéens des Pays de de Loire 2018 et a obtenu le prix Murat 2019. De l'autre côté de la peau (éd. Verticales) est son deuxième roman.

© Emilie Massal

Résidence de Création et d’Éducation artistique et culturelle en milieu scolaire - IMEC

1 septembre 2020 – 1 juillet 2021

Dans le cadre du programme d'Éducation artistique et culturelle à l’IMEC (Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine), trois auteurs en résidence – Aliona Gloukhova, Marcus Malte et Kris - mènent un travail d’écriture régulier avec des élèves du CM1 à la troisième et des élèves relevant des dispositifs ULIS et SEGPA. Tout au long de l’année scolaire, chaque auteur intervient dans quatre classes d’établissements de l’Académie de Normandie pour une série d’ateliers d’écriture sur une thématique commune, « Points de départ », abordée selon des approches et des esthétiques très diverses : inventaire poétique des moments de bascules et de déséquilibres, questionnements autour de l’impulsion créatrice et invention d’une galerie de personnages de fiction, réflexion sur l’élan d’indignation, le point de non-retour, l’engagement et leurs traductions littéraires…

En parallèle, ils se consacrent chacun à leur travail d’écriture personnel.

© IMEC

En préambule, pourriez-vous rappeler, en quelques lignes, le sujet du projet d’écriture que vous avez commencé ou poursuivi en résidence ?

Le texte a pour titre provisoire Géométries désaccordées. C’est une théorie éphémère sur des liens amicaux et amoureux qui se font et se défont : comment se retrouve-t-on, pourquoi on se perd ? Ce texte joyeux et autofictionnel se construit à partir des traces à peine présentes, probablement inventées, des projections, des suggestions, des intuitions, des citations incomplètes des philosophes, des paroles rapportés des inconnus, des hypothèses fantasques, des constats improbables, des nuages qui passent. 

Parfois, je travaille aussi sur un autre texte qui n’est qu'à son début– c’est une fiction flottante sur un adolescent Mika qui grandit, cherche son chien Lobo, voyage dans les forêts, marche dans les rêves, élargit l’espace à l’intérieur de lui.

 

Est ce qu'il s'agissait de votre première résidence ?

C’est ma troisième résidence, après la Création en cours (Ateliers Médicis) et celle de la Fondation Facim en Savoie.

 

Pourquoi avoir choisi ce lieu de résidence ?

J’ai découvert ce lieu il y a des années de cela grâce à Maylis de Kerangal, lors d’un court séjour avec d’autres étudiants de Master en Création littéraire à Paris 8. C’était en été, je me rappelle d’une soirée où il faisait très doux, et de quelque chose de rêvé, je me rappelle avoir fait une promenade dans les champs avec Elitza Gueorguieva.  Mon premier livre était encore en cours d’écriture, c’était un avant-goût d’un futur incertain et probablement heureux. C’est peut-être pour cette raison que j’ai postulé. J’ai été aussi très curieuse, même si très intimidée, de travailler sur certaines archives de philosophes, leurs écritures obliques.

 

Qu'est-ce que vous appréciez le plus dans le fait d'être en résidence ?

J’aime le déplacement, le fait d’être parachutée dans un endroit dramatiquement différent. Changer de lieu me permet de changer de vision, tester mon écriture dans cette nouvelle condition, partir de soi légèrement bousculé par ce changement. Le fait de se retrouver dans un lieu à part, principalement pour écrire, permet aussi une autre concentration, mon attention change. Le lieu permet au texte de prendre sa place, de s’imposer, d’être davantage là. Parce que finalement le texte n’existe pas avant d’être écrit – il a besoin des appuis pour croire en sa propre réalité pendant toute cette période incertaine des brouillons, une résidence d’écriture l’aide à s’imposer, à s’élargir.

© Aliona Gloukhova

Comment votre résidence vous a aidé dans votre projet d’écriture ?

La perception du texte sur lequel je travaillais pendant les mois s’est déplacée avec le changement du contexte, j’ai pu le voir autrement. Ce déplacement a été bénéfique, m’a permis, je crois, de quitter certains automatismes acquis, changer de stratégie d’écriture. J’ai beaucoup écrit à partir des textes-hommages de Derrida sur lesquels j’ai travaillé aux archives, son écriture m’a un peu remis au point de zéro, au point ému, je me suis souvenue de l’enjeu de mon texte, je suis redevenue à nouveau fragile. Ça fait toujours du bien de retrouver les bases qui se perdent parfois au long de l’écriture.

 

Aviez-vous des appréhensions/ des doutes sur votre projet qui ont pu être résolus pendant cette période ?

Le doute est le point de départ de mon écriture, je l’aime bien, je ne veux pas qu’il parte, l’insécurité, je trouve, va bien à l’écriture. Ce que cette période m’a permis c’est plutôt de déséquilibrer ce texte sur lequel je travaille et aussi de le nourrir de la matière réelle - des accidents, des paroles et des rencontres. Il y a eu aussi des textes des élèves, trébuchants et justes, ils ont froissé ma certitude, je me suis mise à chercher à nouveau.

 

Dans le cadre de votre résidence, quelles sont les rencontres qui vous ont marquées ?

Il y en a eu beaucoup – une maîtresse qui venait de Ouessant en Finistère, elle m’a offert le nom de la cérémonie pour faire des adieux aux disparus en mer la Proëlla, des images d’air humide, de petits coquillages, une fille qui m’a demandé si elle pouvait continuer le poème commencé en classe, un garçon qui voulait savoir si la mauvaise orthographe était un obstacle trop important pour devenir un écrivain. Il y a aussi tous ceux qui travaillent à l’IMEC et leurs cadeaux - des drames invisibles des archives, des itinéraires géométriques des amours, les messages des spectres, le destin cahoteux d’un chat roux qui devrait vivre ailleurs mais revient toujours à l’IMEC, des despedidas à la brésilienne, des contre-sens pris par hasard, des itinéraires en recherche de beaux paysages quand j’étais triste, des propositions de quitter mon studio, à l’Imec, par la fenêtre, des voyages transsibériens, des chameaux qui sont peut-être des lamas, mais peu importe.

 

 

Pourriez-vous décrire un moment fort de votre résidence ?

Les moments de lecture des élèves étaient forts, cette découverte de leurs textes. Mes consignes d’écriture sont intuitives, ne sont pas toujours logiques. Voir les étudiants s’en sortir avec des textes joyeux, étonnés et tendres est toujours émouvant.

Aliona Gloukhova en atelier scolaire

Le moment de lire chez Derrida sur le champ magnétique de l’amour, ce qui est aimanté devient aimant à son tour et sur Emmanuel Levinas et son angoisse de l’interruption  (…) quand au téléphone il semblait à chaque instant appréhender la coupure et le silence ou la disparition, (…) qu’il rappelait aussitôt et rattrapait d’un allo, allo entre chaque phrase.

Le moment où, le matin, je suis sortie dans la cour de l’Abbaye et qu’il neigeait.

IMEC © Aliona Gloukhova

 

Quelle suite pour votre projet d’écriture ?

Géométries désaccordées  va continuer à s’écrire ce printemps encore, je crois. Il va ensuite probablement prendre une forme-papier, mais aussi exister à l’oral, je l’espère comme une performance aérienne, gesticulée.

 

Propos recueillis par Cindy Mahout  

[Questions à…] Aliona Gloukhova en résidence à l’IMEC
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