Une transmission en héritage

Un homme part sur les traces de son ami d’enfance brutalement disparu, à Blanchelande, le lieu où il vécut les derniers mois de sa vie. Un roman pour continuer l’espérance.

© Belinda Cannone

Mots choisis

« La nuit était tombée en douceur, comme une écharpe de laine, mouchetée d’étoiles.
Je me mis à la fenêtre. L’air froid me barbouilla de son humidité. Bienvenue en Normandie. Je n’avais pas l’idée de dormir : je voulais voir la nuit de Blanchelande, la vivre, cette nuit comme toutes celles qu’avait connues Antoine les deux dernières années de sa vie. Je frissonne. Ma peau apprend tous les frôlements de la nuit. Des souvenirs épars, confus, se bousculaient sous mon crâne.  »

(Pages 39-40.)

« Aujourd’hui, Antoine est mort. » Alors les cinq amis de jeunesse sont venus assister à l’incinération. Deux ans avant la cardiaque, Antoine a eu une autre crise, qui a provoqué son retirement à Blanchelande, en Basse-Normandie, dans la maison de l’arrière-grand-père sculpteur de monuments aux morts. C’est Clara, l’interlocutrice, qui dira à Simon, le narrateur, pourquoi : « La fatigue… » Fatigue d’exister, d’une « vie pour rien », alors on enjoint « au futur d’aller se faire voir hier », alors le dessaisissement, l’ankylose. Mais n’est-ce pas ce qui menace Simon aussi ?

À Blanchelande, où il s’est institué exécuteur d’un testament non écrit, Simon met les chemises d’Antoine, nourrit son chat, vérifie le contenu de son ordinateur, et surtout il apprend « à faire attention aux choses ». L’attention, aptitude nouvelle en lui qui, ces derniers temps, vivait sa vie en passager distrait. Et voilà qu’il marche pieds nus sur la terre mouillée, regarde les arbres, jouit de l’air frais de la nuit sur son visage…

Puisque Antoine est parti « trop vite », comme on dit, il veillera à son héritage. Car la réponse du roman à la question du sens (de l’existence), c’est la transmission. Comme Antoine, Simon se prend d’affection et d’intérêt pour Slimane, 13 ans, venu du quartier « sensible » de la ville proche. L’appétit, l’intelligence et la curiosité du gamin donnent envie de lui offrir en partage l’héritage commun. Du football aux cathédrales, du latin au combat, de la lecture aux étymologies, tout est bon à apprendre. Le roman met en scène la passion de transmettre, la joie de former. Mais à quoi bon si la société n’accueille pas ensuite le petit Arabe méritant, comme elle n’a rien offert à Tariq, le grand frère non moins méritant de Slimane, qui n’a connu que rebuffades et en a conçu une haine effroyable ?

Slimane a ouvert la solitude d’Antoine – et de Simon – sur un horizon « et pas sur l’impasse de la réclusion », et Antoine a fait de même pour Slimane. L’amitié entre eux avait été scellée par le commentaire du gamin à propos du premier livre que lui avait fait lire Antoine (Le Sagouin, de Mauriac), remarque qui donne le sens profond du roman : « Il n’y a pas d’espoir au bout, voilà ce que j’ai trouvé... Et sans espoir...»

Roman où se croisent des personnages délicieux et hauts en couleur, qui évoque notre extrême-contemporain en l’ancrant dans le temps long, Retour à Blanchelande est un livre réaliste et optimiste, malgré tout.

Belinda Cannone

[Chronique] Retour à Blanchelande de Frank Lanot