Sur les sentiers rugueux de l’amour et de la vie rêvée

Un roman poétique entre ciel et frondaisons, où la quête de lumière des protagonistes les porte vers une montagne qui est plus qu’un simple décor.
© Dominique Panchèvre

La Géante, roman poétique éponyme du nom de la montagne qui est le cadre de l’intrigue, croise le récit rugueux de deux orphelins, Noële et son frère Rimbaud, recueillis par « la Tante » ; et la correspondance entre deux journalistes : Maxim qui souffre d’une maladie des yeux, écrit des articles pour un journal et vit replié dans la « Maison froide », près de chez Noële ; Carmen qui parcourt le monde en quête de reportages.

Noële a appris auprès de la Tante les remèdes que l’on fabrique avec les plantes, elle connaît les chemins, les plantes, les animaux et le silence des bois. Rimbaud, qui ne parle pas et chante avec le petit-duc, a fait de la nature sa vraie maison, il observe et comprend, à sa façon, tout ce qui se passe autour de lui.

Entre Carmen et Maxim, il y a de l’amour. Carmen l’écrit avec ardeur mais Maxim, dont la vision s’étiole et le fait souffrir, choisit la réclusion loin des rédactions et impose rapidement un silence aux lettres de Carmen. C’est Noële qui apporte les lettres à Maxim, et c’est Noële qui les lit lorsqu’il ne veut plus les recevoir.

En s’immisçant dans l’intimité de la correspondance, Noële découvre par procuration le sentiment amoureux, le désir, ce qui porte et transporte. La douleur aussi, lorsque les mots de Carmen se heurtent au silence de Maxim qui se mure dans la souffrance de la maladie qu’il combat, mais dont il sait qu’il ne sortira pas vainqueur. Ces lectures sont aussi une initiation au langage de l’amour pour Noële, langage duquel sa vie rustique et frugale ne lui avait jamais permis d’approcher.

On ne peut lire ni les propos de Noële ni ceux de Carmen sans penser aux Fragments d’un discours amoureux, de Roland Barthes. Autre forme, autre langue, mais une grande parenté dans la perception des émotions, du désir, de l’inquiétude que procure l’amour de l’autre. Laurence Vilaine nous guide sans nous contraindre, entre ciel et frondaisons, sur les chemins des fleurs bleues inaccessibles et des branches dont on fait les fagots, du trajet du facteur à la « Maison froide », jusqu’au sommet de « La Géante », qui attirera les protagonistes comme un aimant – dans ses deux acceptions. Chacun y trouvera une parcelle de la lumière recherchée, et Rimbaud, silhouette furtive du récit, y aura finement contribué.

Un roman qui commence par la citation de Jón Kalman Stefánsson, extraite de La Tristesse des anges et qui ne peut être qu’un beau présage : « Partir dans la montagne par une nuit calme et sombre comme l’enfer pour y trouver la folie ou la félicité, c’est peut-être cela, vivre pour quelque chose. »

Dominique Panchèvre

La Géante - Laurence Vilaine, Zulma, 2020

Mots choisis

« Le Bois noir n’avait laissé sur elle aucune marque. Pas une égratignure sur les joues seulement rosies par l’effort de la marche quand les miennes, avec la sueur, brûlaient des griffures des épineux. Sa respiration était tranquille et ce répit la faisait douce. Et comme si un prénom suffisait à donner chair et os, j’ai reconnu son visage que je n’avais jamais vu. »

[Chronique] La Géante de Laurence Vilaine