« Alegría ! est l’histoire d’Ola, jeune femme courageuse et insatiable, mais écrouée dans le quotidien gris de Paris. après avoir échappé par hasard aux attentats du Bataclan, elle fuit le deuil de son père et les amours ratées. En Espagne, lors d’un séjour Erasmus, elle renoue avec le désir et l’allégresse. »

Camile Elaraki est née en 1993 en Normandie. Elle a grandi eu Maroc, puis a vécu en France, en Espagne, en Suisse et en Pologne. aujourd’hui à Lyon, elle est journaliste freelance et portraitiste. »

LETTRE OUVERTE À CAMILLE ELARAKI

 

Chère Camille,

C’est foisonnant, Alegría ! Foisonnant comme sait l’être un premier roman, tant il est important de marquer l’esprit des lecteurs lors de la publication originelle. Ce n’est pas du tout un reproche dissimulé derrière une formule de politesse gentiment perverse, non, simplement le constat du travail de l’écrivaine à l’établi. Un travail minutieux d’écriture du réel avec le talent du changement de focale et du pas de côté.

Tous les romans sont autobiographiques, n’en déplaise aux adorateurs de l’autofiction, terme que je déteste cordialement. En effet, pour avoir cheminé depuis fort longtemps sur les multiples sentiers de la littérature – et pas seulement les romans ou les récits –, pour avoir rencontré de nombreux écrivaines et écrivains, pour en connaître certaines et certains jusque dans l’intimité de l’amitié, comme Arno Bertina, Cécile Coulon, Tanguy Viel, Patrick Da Silva ou Marie-Hélène Lafon, je pense modestement pouvoir mesurer le geste créatif qui s’empare du réel pour en faire de la littérature. La poésie non plus n’échappe pas à ce phénomène ; il suffit pour s’en convaincre de lire Philippe Jaccottet, Guillevic, Guy Goffette ou encore Herberto Helder.

Je l’ai sentie, dans Alegría !, cette aptitude à tordre la réalité, à brouiller les pistes des souvenirs, à créer une fiction.

Autre signe qui m’a porté tout au long de la lecture, c’est la volonté de rendre palpable le mouvement. Le mouvement, c’est la vie, dit-on ; ce récit en est pétri, il vit en aussi grâce à cela. L’histoire racontée l’y oblige, tant par la sidération des attentats auxquels échappe Ola par hasard (mais le hasard existe-t-il vraiment ?), grâce, et non « à cause », de la lâcheté de Grégoire, que par le souvenir de la maladie du père ou de la descente aux enfers de la mère, qui remontent par petites touches tout au long du texte. Ola part, s’enfuit, même, et sa destination (l’Espagne de sa jeunesse) semble à la fois être une manière de rompre avec le quotidien délétère de Paris (sa mère malade, Grégoire et sa veulerie, les boulot de m…) et un plongeon volontairement inconscient dans un espace qui devrait lui permettre de comprendre le « pourquoi » de tout ce mal-être, et, peut-être, d’en sortir.

Les scènes se succèdent comme des images croquées, tantôt au fusain avec son trait dur et sombre, tantôt aux pastels doux des lumières de La Caleta, tantôt à la gouache crue et contrastée des nuits de Santa Maria, appliquée au couteau. Une écriture un tantinet graphique dans sa composition. Mouvements du geste d’écriture et des changements de technique qui contribuent à l’incarnation du récit.

La parenthèse Erasmus est aussi mouvement, sorte de lâcher prise grisant qui permet à Ola autant d’oublier que de se nourrir. Parenthèse circonscrite pendant l’année d’étude des étudiants étrangers qu’elle fréquente. Il faudra bien, au terme de cette année, trouver un autre mouvement pour continuer à vivre. La rencontre d’Emily, sur un malentendu, sera l’aimant (et l’aimante) qui précipitera Ola vers Liverpool afin de la retrouver.

Emily est le contrepoint lumineux à la mort qui rôde dans ce récit : Le Bataclan, le père, la mère sans doute bientôt, par un excès d’anxiolytiques, Pedro abandonné des siens au bout de la corde. L’amour, le désir et le plaisir sauvent-t-ils de la mort ? Au lecteur, après la lecture de l’épilogue, de proposer sa réponse. Comme l’écrit si bien mon ami Patrick Da Silva, c’est le lecteur qui finit le livre. Alegría ! est, sur ce point également, réussi, puisque la porte de l’imaginaire reste entr’ouverte.

Merci de nous avoir donné à lire un roman qui annonce, à n’en pas douter, d’autres écrits impatiemment attendus.

Mots choisis

« Ola referme doucement la porte de sa chambre sur les excuses plaintives de Pedro. elle se retourne. Emily n’a pas bougé. Elle dort, le visage caché dans son coude replié. Le drap découvre la naissance des fesses, s’emmêle à une jambe et glisse jusqu’au bas du lit. Trois grains de beauté bourgeonnent sur la peau de son dos blanc. Ils dessinent un triangle. Sans faire de bruit, Ola ouvre la commode de son bureau. Elle en sort une feuille vierge et un crayon de bois qui n’a jamais servi. Elle s’assoit et fait gratter la mine sur le papier. Prendre la photo d’un instant suspendu comme celui-ci serait vulgaire. Une insulte. Ce serait voler une image qui ne lui appartient pas. La voler à la lumière et au temps. Alors qu’un dessin, les traits passés par son regard puis par sa main, lui offre le corps d’Emily. Elle le fait sien, au-delà des caprices du désir et de l’ambivalence des sentiments, pour toujours. »

(Pages 146-147)

[Chronique] Alegría de Camille Elaraki